Dans la cour de la ferme de la Fée des champs, le calme de la campagne règne. On est pourtant juste à la sortie de la ville de Wambrechies, mais ce sentiment de retour à la terre fait du bien à la citadine que je suis.
A l'abri du hangar, étagés sur un
grand grillage, les oignons sèchent par dizaines. Un monticule de
courges de toutes les couleurs attend d'être partagé parmi les
adhérents de l'AMAP. Je retrouve Lucie
et Steve, son employé,
installés sous le tunnel, en train de retirer les dernières tiges
des radis noirs avant que le coucher du soleil. De longues rangées
de jeunes pousses s'étendent derrière eux, prêtes à passer
l'hiver.
Lucie s'est installée en tant que
maraîchère sur les terres de ses parents, voilà maintenant 4 ans.
À 33 ans, son bagage professionnel est bien rempli : après un
BEP et bac pro horticole, la jeune femme se passionne pour les
plantes médicinales, et devient préparatrice de commandes. Son
chemin se poursuit en chimio, puis en
mairie. Au final, son besoin de contact avec la terre et son amour
pour le dessin la conduisent à mener un BTS aménagement paysager.
Les ravages de la Révolution verte
Pendant ce temps, autour d'elle, les
petits paysans disparaissent, leurs terres se font racheter par
l'immobilier ou par d'autres agriculteurs qui intensifient toujours
et encore leur production. Son père, éleveur de vaches, est en
difficulté, la ferme familiale s’éteint. Déjà, les voisins sont
à leurs portes pour racheter leurs terres. La réflexion s'est
imposée d'elle-même : comment en est-on arrivés là ?
Que faire pour sauvegarder un modèle paysan à taille humaine et
durable ?
Tout s'est joué lors de cette journée
sur l’économie sociale et solidaire à Lille. Lucie et son père y
découvrent le système d'AMAP (Association pour
le Maintien d’une Agriculture Paysanne),
grâce à Rémi, un coordinateur de projets qui met en lien paysans
et consommateurs lillois engagés.
Renouer avec la terre
La réponse est là : grâce à ce
système, les revenus du paysan sont assurés toute l'année, et ce
dès son installation. Finis les marchés et la recherche ardue de
clientèle ! Voici venue la possibilité de développer une
agriculture biologique et locale, à taille humaine, nourrie de
rencontres et d'échanges de savoirs. Le consommateur est fidèle
grâce à son adhésion : à chaque rentrée scolaire, celui-ci
donne à l'avance les chèques, d'un montant égal, qui seront
débités régulièrement toute l'année. Il participe ponctuellement
et de manière conviviale aux récoltes et travaux de la ferme. En
échange, le producteur s'engage à distribuer chaque semaine, un
panier de légumes sains et locaux, à un prix juste, plus ou moins
fourni selon la saison.
Tout se joue très vite :
premières réunions avec les particuliers intéressés, montage des
dossiers et du projet avec l'aide des associations Avenir, A petitspas, et GABNORD, certification au label AB, installation des
premières cultures. Lucie démarre son activité avec 20 paniers. 4
ans plus tard, la voici arrivée à 76, l'équilibre est presque
trouvé.
Comme beaucoup d'Amapiens, Lucie s'attache à faire découvrir ces légumes oubliés car non calibrés : courges-spaghettis, radis noirs, tomates anciennes, haricots violets... Moi-même adhérente depuis deux mois seulement, je les découvre au fur et à mesure. Une chose est sûre : je n'ai jamais autant cuisiné depuis que je suis dans une AMAP ! Les conserves et surgelés ont disparu au profit de tupperwares de bons petits plats sains, mes tomates ont enfin du goût, et ma famille n'en finit pas de voir les nouveautés étranges que je ramène chaque mercredi. Combien d'entre nous ont déjà vu un chou blanc pointu ?
Paysan, le plus beau métier du monde
« Ce que je préfère dans mon
métier ? Le contact du Vivant, les odeurs... et les liens qui
se créent ! Ces liens qui amènent d'autres liens... ».
Témoin de cette fraternité, de cette solidarité qui se crée entre
tous ces gens, de plus en plus nombreux à ouvrir les yeux, Lucie se
veut confiante en l'avenir. À ma question « Que faire pour
transformer cette société ? », la jeune maraîchère en
est convaincue : « le bio est à la base de tous les
changements... ». C'est une philosophie de vie globale, basée
sur le respect du Vivant... et la meilleure façon d'y arriver, c'est
comme pour son métier : ne pas penser à l’ampleur de la
tâche. Y aller chaque jour à petit pas, l'un après l'autre...
J.L.